Echec à la Reine

 

     Mange un peu plus vite, s’il te plaît… Si tu continues, tu vas être en retard à l’école !

–     Maman, je n’ai pas faim.

–     Comment ça se fait ? Avant, tu engloutissais deux grosses tartines sans problème et là, ça fait quelques semaines que tu n’arrives plus au bout de ta première. Ce n’est pas très normal.

–     Ben j’ai moins faim ces temps, c’est tout.

–     Eh bien, tu es ma fille, Morgane, donc je m’inquiète.

J’espère que maman va me lâcher un peu avec cette histoire. Moi, j’ai la boule au ventre. Le stress m’envahit, je n’ai pas envie d’aller à l’école. Oh, ce n’est pas que je ne suis pas une bonne élève, au contraire. Je m’en sors plutôt bien. Par contre, j’ai d’autres soucis qui me prennent la tête. Et avec cette boule au ventre, je n’arrive rien à avaler.

Bastien me regarde bizarrement. Il me fait une de ses grimaces que je trouve toujours très drôles. Mon petit frère a un véritable don pour me faire rire. D’ailleurs, il l’utilise régulièrement pour charmer son entourage ! Ça fonctionne même très souvent. J’ignore où il est allé chercher sa dernière idée mais sa mimique réussit à me faire baisser légèrement la pression. Je lui souris.

–     Hey – Momo – tu – veux – ma – tar – tine ? me demande Bastien en mode zombie, en ouvrant de gros yeux ronds et faisant mine de vouloir me balancer sa tartine pleine de chocolat dans la figure.

Je jette un coup d’œil à maman qui rigole en voyant son fils sombrer dans la folie. Bastien et moi éclatons alors de rire ; on a bien du mal à reprendre notre sérieux.

Quoi qu’il en soit, je n’arrive quand même pas à finir ma deuxième tartine. Je la refile discrètement à mon frère ; j’espère que maman ne se rendra compte de rien.

Si je raconte ce qui me met toute cette pression, je ne suis pas certaine que les adultes comprendront. En réalité, j’ai un peu honte de ne pas savoir gérer ça toute seule. De toute façon, ce n’est sûrement pas grave. Ça va passer.

 

Mais dès la récré, ça recommence. Je vois cette fille, Sofia, s’approcher de moi. Oh non, pas elle, s’il vous plaît. Ses cheveux bruns sont noués en queue de cheval avec un élastique rose… de la même couleur que son T-shirt « Hello Kitty ». Son look ressemble plutôt à celui d’une petite fille bien sage, cependant je vois clair en elle et je sais qu’en fait, c’est tout le contraire. Elle a un regard noir et menaçant. Je la soupçonne toutefois de ne prendre cette attitude qu’avec moi.

–     Tu as ce que je t’ai demandé ?

–     Oui, tiens.

Je sors de ma poche des cartes Panini et je les lui tends. Elle les prend dans ses mains et analyse les numéros. Elle sort un papier, un crayon, trace les trois nombres correspondant aux cartes qu’elle vient d’acquérir. Satisfaite, elle me lance, en se retournant :

–     C’est bon, viens jouer avec nous. Mais je te préviens, tu auras le rôle du chien qui dort sur le paillasson.

Bien. Ce ne sera pas le personnage-phare du jeu, mais au moins, je pourrai participer et jouer un peu avec les autres filles. J’en ai tellement marre d’être exclue ! Pourtant, il y a deux ou trois copines que j’apprécie beaucoup dans le lot. J’aime bien Lucie et Sarah. Comment font les autres pour avoir des amies ? Tout le monde doit donner des cartes ?

De plus, avec mon souci de trouver les bons footballeurs, j’ai complètement oublié de rendre un devoir. Résultat : j’aurai droit à une remarque dans mon agenda. C’est maman et papa qui vont être contents.

Après une telle journée, j’ai un peu de mal à m’endormir. Je me rends compte que de gérer tout cela m’est difficile. Comment m’en sortir ? Tout le monde s’efface devant Sofia et moi, je suis complètement impuissante. Je n’ai aucune envie de me retrouver toute seule…  Marre de l’exclusion.

 

Ce matin, installée à la table de la cuisine pour déjeuner, je vois bien que maman me tient à l’œil. J’essaie de donner le change, de me montrer joyeuse. Mais je suis fatiguée… et je ne peux toujours rien manger. Cette fois, maman ne lâche pas le morceau, malgré les tentatives de mon frère pour la distraire.

–     Bastien, s’il te plaît, enlève cette moustache de confiture. Le orange ne te va pas du tout ; tu n’aurais pas dû choisir celle à l’abricot.

Elle a raison ; le roux, c’est ma couleur, pas la sienne. Mon frère sort de la cuisine afin de se rendre à la salle de bains réparer les dégâts (en espérant qu’il ne se rase pas pour de vrai !). Maman s’assied alors en face de moi.

–     Morgane, je vois bien que quelque chose ne va pas. Tu ne manges plus le matin, tu as des cernes terribles. En plus je te trouve très triste. Raconte-moi ton souci, j’aimerais beaucoup t’aider. Tu sais, ton papa est très inquiet, lui aussi.

 

A ce moment-là, je ne sais plus quoi faire. Plusieurs choix s’offrent à moi :

  1. Je peux continuer sans rien dire, jouer à l’innocente. Faire comme si de rien n’était…
  2. Maman attend une réponse… Pourtant, je n’ose pas lui avouer la vérité; du coup, j’invente un mensonge…
  3. C’est ma maman et elle s’inquiète pour moi. Je décide de lui expliquer la vérité. Je le ferai ce soir, on aura un peu plus de temps pour discuter…
  4. Je ne veux rien dire pour l’instant. J’aimerais essayer de me débrouiller toute seule face à Sofia…

 

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